Alena se releva péniblement et frotta sans le voir son genou douloureux; elle essuya la terre humide qu'elle sentait sur sa joue et dans sa bouche. Elle avait égaré sa dague et sa cape de laine. Elle essaya de rassembler son courage, de garder la tête froide et de se persuader qu'elle n'était pas nécessairement perdue. Levant les yeux sans espoir vers le ciel, elle vit que l'épaisse frondaison filtrait la pâle lueur de la lune et qu'elle ne retrouverait pas son chemin de cette façon.
Combien de temps s'était il écoulé depuis sa perte de conscience? Plusieurs heures, manifestement.
Le froid la saisit en même temps que le désespoir. Les chances de retrouver Ael semblaient à présent inexistantes. Le rendez vous qu'il lui avait donné, à l'aube, à la sortie de la forêt, était sans doute une projection de ses propres espoirs sur une réalité altérée.
Comment s'étaient-ils retrouvés dans cette forêt? Où étaient son peuple, sa maison, ses certitudes? Pourquoi tout ce qu'elle tenait pour acquis de sa vie, de ses souvenirs, semblait-il si flou, si immatériel?
Elle avançait dans la quasi obscurité, comme dans un brouillard palpable, qui l'entravait davantage à chaque pas. Autour d'elle, le silence de la nuit semblait étouffer toute forme de vie, même hostile. Elle finit par s'apercevoir que simplement marcher était de plus en plus difficile, sans que le moindre obstacle se présentât pourtant devant elle. Le fait de conscientiser ce phénomène obscurcissait aussi son cerveau, comme une bougie qui s'éteint. Tout se brouillait dans sa tête, aucune pensée ne pouvait plus naître. Bientôt, elle tomba à nouveau inconsciente sur le sol.
Beaucoup plus tard, une chaleur caressa sa joue et la ramena à la vie. Elle ouvrit les yeux péniblement, et fut éblouie par la vision d'abord floue d'une flamme vermeille qui dansait devant elle, au ras du sol. Etrangement joyeuse, elle semblait animée d'une vie certaine, et paraissait l'inviter à la suivre.
Alena se releva avec effort, intriguée, hypnotisée. Elle se mit à marcher derrière cette petite flamme qui rasait le sol, sans réfléchir aux conséquences. C'était la seule forme animée rencontrée ici, aussi loin qu'elle s'en souvînt, et instinctivement elle lui fit confiance.
Le chemin n'était pas plus facile, ni moins effrayant, mais elle ne se posait plus de questions sur ce qu'elle devait faire. La flamme éclairait le sol, ce qui lui permettait d'éviter désormais les trous, les rochers et les racines sur lesquels elle butait auparavant maladroitement. C'était forcément de bon augure. Elle s'en remit sans vraiment s'en rendre compte à cette petite flamme inconnue, inexpliquée et muette, comme s'il s'agissait d'une alliée envoyée par Ael.
Le souvenir lumineux du jour où ils s'étaient promis l'un à l'autre lui revint et son coeur se rappela un bref instant ce qu'était l'allégresse. Elle toucha l'anneau qu'il lui avait en secret passé au doigt, sous l'arbre aux feuilles d'or qui surplombait le village. Cela lui rendit courage. Elle se mit à courir plus vite. Les choses redevenaient presque normales. La nuit se faisait plus claire, elle cédait lentement à l'aube encore farouche, mais qui triompherait bientôt.
Tout serait alors plus facile, plus réel. La flamme courait toujours devant elle, et elle la suivait éperdument. Elle s'essoufflait à courir ainsi, ses cheveux noirs masquaient souvent ses yeux, mais elle les balayait d'un revers de main automatique, portée par l'espoir d'arriver enfin vers lui. Oui, c'était sûr, c'était lui qui lui avait envoyé cette flamme pour la guider à travers la nuit, et les réunir enfin.
Le jour se levait lentement, le ciel rosissait, la nuit reculait, la réalité reprenait ses droits.
Enfin, au bout du chemin, au loin, la forêt semblait prendre fin. Alena ne regardait plus le sol, ni la flamme, juste la lumière du jour droit devant elle. Au fur et à mesure qu'elle avançait, le jour avançait aussi. L'espoir renaissait, la vie redevenait réelle et tout ce qu'elle chérissait existait à nouveau.
Elle arrivait enfin à la fin de la forêt, le coeur battant, les joues rouges, le sang vif dans ses veines, éblouie par la clarté du jour, heureuse et impatiente.
Devant elle, dans la plaine, se dressait l'arbre aux feuilles d'or. Elles étaient rouges. Et en contrebas, son village, réduit en cendres, encore fumantes. Sans comprendre, elle avança vers l'arbre aimé; une forme allongée se trouvait à son pied; tremblante, elle s'agenouilla pour y trouver le corps sans vie d'Ael. La petite flamme vacilla hasardeusement, puis s'éteignit comme dans un soupir.
Dark Valkyrie
La Valkyrie Végétarienne